Et le lithium ?
Les roches de la croûte terrestre, qui sont en grande majorité des silicates tel le granite, sont altérées par l'action de la pluie et du vent. Ce phénomène est très lent, mais très important pour la régulation du climat de la Terre. Une grande quantité de CO2 est en effet capturée pendant ce lessivage des silicates, et comme le CO2 est le principal gaz à effet de serre, cela influence considérablement le climat global. Il est donc intéressant de connaître les variations de cette altération des roches silicatées au cours des temps géologiques, pour reconstruire au mieux les climats passés.
C'est ici qu'intervient le lithium.
Le lithium est un petit élément chimique contenu dans les silicates, et son rapport isotopique (voir encadré) change pendant l'altération des roches. Ainsi, l'altération des roches augmente la quantité de 6Li dans l'eau des rivières, qui en se jetant dans la mer vont modifier le rapport isotopique du lithium dans les océans. Si on connait le rapport isotopique du lithium dans l'eau de
mer, on peut en déduire si l'altération des roches terrestres en amont a été intense ou peu intense, et donc si beaucoup de CO2 a été capturé ou non.
Les foraminifères sont des archives.
Mais, s'il est facile d'analyser le lithium dans l'eau de mer actuelle, comment faire pour le mesurer dans l'eau de mer d'il y a 20.000 ans ? La meilleures option est de faire appel aux archives naturelles que constituent les organismes fossiles, comme par exemple les foraminifères fossiles. Quand les foraminifères construisent leur coquille, ils emprisonnent par accident des éléments chimiques contenus dans l'eau de mer... comme le lithium. On peut donc mesurer les rapports isotopiques dans la coquille des foraminifères vieux de 20.000 ans, pour savoir quels étaient ceux de l'eau de mer à cette époque.
Qu'est ce qu'un isotope ?
Un élément chimique a souvent deux états stables, c'est-à-dire deux versions, qui ont un même nombre de protons mais un nombre de neutrons différents.
Pour le lithium, on trouve le 7Li et le 6Li. Le 7Li est naturellement plus abondant que le 6Li. On appelle "rapport isotopique du lithium" la proportion de 7Li par rapport au 6Li.
La seule condition pour pouvoir utiliser le lithium dans les foraminifères comme témoin de celui de l'eau de mer, est qu'aucun effet biologique ne se passe pendant l'intégration du lithium dans la coquille. Or, le lithium n'intervient dans aucun processus physiologique connu, ni pendant la respiration, ni pendant la nutrition etc. Les probabilités sont donc très faibles... Mais mieux vaut le tester tout de même.
Expériences de culture.
J'ai réalisé des expériences de culture de foraminifères benthiques, pour tester si quand on modifie le pH d'une part, ou la quantité de carbone dissout dans l'eau d'autre part, cela avait un impact sur le rapport isotopique du lithium dans les coquilles. Comme attendu, aucun effet n'a été observé. Des études précédentes ont par ailleurs montré que la température n'avait pas non plus d'effet sur l'intégration du lithium dans la coquille des foraminifères.
On peut donc considérer le rapport isotopique du lithium dans la coquille des foraminifères comme un témoin de celui de l''eau de mer, et utiliser ces données pour reconstruire les conditions d'altération des silicates par le passé, ainsi que les climats associés.
Article publié en janvier 2023 dans le journal Minerals (en anglais)
Vidéo sur l'altération améliorée des silicates (en anglais)
Au pied du volcan
Nishinoshima est un volcan sous-marin situé au large de Tokyo, à environ 1000 km au sud des côtes du Japon. Une petite partie du volcan est émergée : c'est l'île de Nishinoshima. Le volcan a été dormant pendant 40 ans, puis il s'est soudainement réveillé en novembre 2013. Depuis, il est toujours actif, avec des coulées de lave régulières accompagnées d'explosions de gaz et de cendres.
Il est difficile d'étudier les faunes qui vivent autour des volcans, en particulier quand ils sont sous-marins, pour des raisons d'accessibilité et de sécurité. Par chance, suite à une mission d'observation mise en place en 2015 par une équipe de volcanologues, j'ai pu récupérer du sédiment provenant des alentours de Nishinoshima. Parmi les grains d'andésite et de dacite, fragments de roches volcaniques, j'ai repéré des foraminifères ! Je les ai alors triés puis identifiés, c'est en fait la 1ère fois que les faunes benthiques sont étudiées dans cette région. Bien que le nombre de spécimens y soit faible, les assemblages de foraminifères que j'ai observés sont étonnants en termes de diversité des espèces.
Ces résultats préliminaires participent à améliorer notre compréhension du fonctionnement des environnements dynamiques que sont les volcans, et les faunes associées. Les données collectées serviront de base de connaissances pour, par exemple, une future étude à plus grande échelle autour de Nishinoshima.
Article publié en mai 2023 dans le journal Paleontological Research (en anglais)
Rapports réguliers sur l'activité de Nishinoshima sur Global Volcanism Program (en anglais)